Dernier chapitre de ma nouvelle du Disque-monde mais pas dernière publication car l'épilogue de cette histoire sera publié dans la semaine, avec une liste de liens amenant à chaque chapitre (en espérant que cela fonctionne correctement). J'y ajouterai les remerciements de rigueur et quelques addendums sympathiques. Bonne Lecture :)

 

"             !"

Une nouvelle du Disque-monde

Après plusieurs jours passés dans la cave de leur habituelle réunion, Théodule commençait sérieusement à devenir dingue. Arpentant d’un pas vif le peu d’espace dont il disposait pour essayer de penser à autre chose que ce lieu étroit qui pouvait voir à tout moment débarquer le Guet municipal, il ne faisait en vérité qu’accroître son anxiété de minute en minute. Dans un coin, se balançant sur une chaise, le mime Pouet l’observait de son habituel regard placide. Cela aussi avait tendance à le titiller profond. Le vieux se contentait de le regarder, ou bien semblait soudainement perdu dans ses pensées. Il ne communiquait que fort peu, ni avec lui ni avec les autres.
Lorsque ses compagnons avaient découvert Monsieur Sourire et leur idole suprême cachés dans le sous-sol, ils n’en crurent pas leurs yeux. Ils en restèrent bouches bées. Enfin, plus que d’habitude quoi. S’en suivit des scènes de liesse, de nombreuses poignées de main et même une démonstration du maître. De nombreux applaudissements témoignèrent de l’admiration sans borne de la maigre assemblée. Suite à cette inoubliable soirée, les membres de la Ligue du Silence se relayèrent au fil des jours pour apporter des vivres aux deux fugitifs. Mais les nouvelles accompagnant les repas n’étaient pas bonnes. Le Guet semblait bien trop se rapprocher d’eux. Des agents rôdaient le soir près de leurs maisons et il n’était pas rare de les croiser plus d’une fois dans la même journée dans les rues de la cité, ce qui était bien plus qu’à l’accoutumée. On soupçonnait Maître Majeur d’avoir bien trop parlé. Du coup l’heure était au départ précipité. Cependant malgré cette crainte le captif n’avait semble-t-il pas dévoilé l’adresse de leur salle de réunion secrète, il y avait donc encore de quoi manoeuvrer pour une éventuelle sortie en coulisses. À moins que les lieux ne soient placés sous surveillance discrète, afin de collecter un maximum d’informations et faire ‘un coup de filet’ général sur l’entièreté de la Ligue. Dans tous les cas, le temps était venu de filer sans laisser d’adresse.

Le Roi Chaussette leur avait annoncé le matin même en leur apportant quelques victuailles son intention de quitter la ville dès le lendemain, le temps que les choses se calment. Après son départ, Théo s’était alors mis à parcourir la cave dans tous les sens tandis que Pouet restait parfaitement serein assis sur sa chaise. Ce dernier finit cependant par se lever pour saisir fermement le jeune homme par les épaules avant de lui faire comprendre qu’il était aussi venu le temps pour eux de prendre le large. Demain, ils quitteraient la ville avec le Roi.
Mais ce n’était pas possible, Théo avait une vie ici ! Un bon métier avec des perspectives, des parents à qui il devait rendre des comptes - Par tous les Dieux ! Avaient-ils été mis au courant de son arrestation ? Sûrement, via un message clac de Mr Cèperousse.
Et puis il y avait Jadelia.
Jadelia !
Pouvait-il partir sans un adieu ? Sans la revoir une dernière fois ? Sans lui rendre sa précieuse broche ?

Il y songea toute la nuit tandis qu’il cherchait en vain le sommeil. Le lendemain matin, lorsque La Barbe apporta de quoi prendre un petit-déjeuner (de l’eau gazeuse et du pain), Théo lui confia un message à faire parvenir à Mademoiselle Jude-Raizin, la fille sourde de l’opéra. Le nain promis que se serait fait rapidement, comprenant également que les deux hommes accompagnaient le Roi dans son départ. Effectivement cela valait mieux leur expliqua-t-il. Il avait dû user de quelques astuces et emprunter de vieux raccourcis connus seulement de ses pairs de peu de taille pour parvenir jusqu’ici sans encombre. Le Guet était manifestement sur leur trace. Lui-même ne prendrait pas le risque de revenir et avait décidé de fuir par bateau avec Monsieur Long dans les plus brefs délais. Le départ de ses amis le rassurait donc d’autant plus. Le petit mime fit alors des adieux chaleureux à Frère Sourire puis serra longuement la main du vieux maître renégat avant de les quitter, une étincelle rayonnante au fond des yeux.
Une fois seuls tous les deux, le mime Pouet retira son costume de scène et se nettoya le visage à l’eau. Théodule le découvrit alors sans son masque cireux. Juste un vieil homme usé par le temps et ses combats qui curieusement paraissait bien plus fringuant et surtout bien plus sympathique que lorsqu’il se trouvait affublé de son triste faciès d’artiste de rue. L’ainé demanda à ce qu’ils échangent leurs tenues. Ce que fit Théo sans discuter mais qui plus petit que Pouet se retrouva avec un pantalon noir trop grand et une chemise sans âge lui tenant quasiment lieu de blouse. Et qui avait dû être blanche il y a bien longtemps dans une autre vie mais qui désormais lorgnait vers la teinte jaunâtre, et pas du genre chatoyant. Il se décida à faire abstraction de la crasse et des nombreux trous qui parsemaient les habits en bout de course afin de ne pas faire purement et simplement un malaise. De son côté le maître lui se retrouvait avec la tenue râpée et ringarde de Mr Cèperousse…

Ils sortirent et ne s’attardèrent pas dans la rue du Dixième-Œuf. La fraîche matinée n’empêchait guère les habitants de partir en nombre au travail et il ne fut pas bien difficile pour les deux fugitifs de se dissimuler dans la foule éparse. À trois reprises ils changèrent de direction, apercevant au loin une patrouille du Guet. Très vite ils rejoignirent l’endroit où Théo avait vu le petit théâtre itinérant du Roi Chaussette et tombèrent sur lui et sa femme qui s’apprêtaient à partir incessamment sous peu. Le couple accepta avec joie de leur faire quitter la ville, en les dissimulant dans leur charrette sous la bâche abritant leur matériel. Théodule demanda à ce qu’ils soient déposés à l’auberge du Vermoyeu, à bonne distance de la ville. L’endroit même où il avait donné rendez-vous à Jadelia sur la note confiée à La Barbe.

***

Le voyage parut interminable. Coincé entre la petite scène et le bord de la carriole, Théo n’était plus que courbature et engourdissement. À travers le barda il distinguait le visage de Pouet, qui piquait un somme comme si de rien n’était, paisible au milieu de tout ce fatras et du trot incertain de la vieille mule qui servait d’animal de trait au couple royal. Puis subitement le ciel apparut lorsque la Reine Chaussette retira d’un coup sec la bâche depuis son siège d’assistante cochère. Ils étaient arrivés à destination. Les aurevoirs furent aussi brefs que bienveillants. Quand ils continuèrent leur chemin, Le Roi et sa femme agitèrent leurs bras tout le long de la route pour saluer le plus longtemps possible leurs compagnons. C’est le coeur serré que Théo leur rendit la pareille, jusqu’à ce qu’ils soient trop loin pour les discerner.

***

La soirée s’entamait lorsqu’un cocher déposa Jadelia devant l’auberge. Elle eut un regard de désapprobation devant l’état de délabrement de l’établissement mais semblait surtout profondément déterminée à atteindre son objectif. Surmontant sa répréhension à pénétrer un tel taudis elle avanca vers celui-ci. Théo lui épargna cette peine en surgissant des buissons pour se présenter devant elle avec ses vêtements de plusieurs jours et son aspect débraillé. Elle n’en tint pas rigueur et se précipita dans ses bras.

“J’ai eu si peur de ne plus jamais vous revoir ! Quand j’ai appris ce qui vous était arrivé après que cette grosse brute vous ait assommé, j’ai bien cru vous perdre à jamais ! Pour une fois qu’un garçon ne me coupe jamais la paro…”

Il posa un doigt sur ses lèvres si délicates et pourtant si bruyantes puis lui désigna un inconnu. Un homme d’âge mûr, à l’aspect sec mais vigoureux qui lui fit le plus charmant des baise-mains. Puis l'illustre individu se mit en retrait, pour laisser un peu d’intimité aux deux jeunes tourtereaux. Théodule sortit la broche de sa poche. Elle avait été pas mal éméchée au cours de ses derniers jours mais on y reconnaissait encore vaguement un oiseau. Il prit les mains de la belle demoiselle et l’y déposa, en refermant les doigts graciles de la jeune femme dessus. Jadelia sentit les larmes lui monter aux yeux car elle comprenait bien qu’il s’agissait là d’adieux. Alors sans réfléchir elle embrassa Théo, qui bien que surpris la laissa faire avant de participer pleinement à son entreprise.
Difficilement, il se détacha d’elle et se rapprocha de son maître. Mais celui-ci le stoppa en lui posant une main ferme sur le torse. Le jeune mime chercha l’explication sur le visage du vieil homme, qui se contenta d’indiquer du regard la jeune femme aux yeux embués de larmes. Théo insista en lui faisant comprendre qu’il avait fait son choix, qu’il était prêt à le suivre dans sa lutte. C’est alors que Pouet fit la chose la plus surprenante pour un mime, en prononçant à voix haute d’un ton clair et sans appel : 

"Non"

Abasourdi, le jeune homme vit son idole s’éloigner, non sans ayant précédemment élégamment salué dans un gigantesque geste d’adieu lui et Jadelia, en effectuant la posture bien connue d’un artiste sortant de scène. Il s’enfonça dans la nuit brumeuse d’un pas léger, les mains dans les poches et sans un regard en arrière, comme s’il s’agissait d’une simple balade pour le type le plus heureux du Disque-monde. Tel un esprit libre. À cet instant Théodule Soufflet se demanda si toute cette aventure n’avait pas été qu’un rêve : Pouet, la Ligue, Mr Cèperousse, tout le reste...
Les bras tendres et le doux visage aux cheveux longs qui l’enveloppèrent lui firent comprendre que ce n’était pas le cas.

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Épilogue à venir dans la semaine, si j'en ai le temps et le courage :)